⇇⇇ Conseil lecture 👀
Le texte qui suit a été écrit en novembre 2015 sur le thème "Frontière" lors d'un atelier d'écriture avec Juliette Mézenc
Mot Maquis Juliette Mézenc
Je l'ai retravaillé récemment.
La mise en page du blog ne permet pas d'obtenir le texte original.
Cette version implique donc une lecture de deux textes imbriqués (texte + texte) mais les deux peuvent aussi être lus séparément.
Frontière :
Elle avance
vers lui. Attractif.
L’espace est
dénudé.
Elle évolue
dans le noir lentement.
Très
lentement.
Ses jambes
retiennent son envie de s’élancer.
Elle avance
vers lui. Attractif et angoissant.
Parce-que tu crois que je l’ai décidé ? Parce que
tu crois que je l’ai désiré ? Parce que tu crois que j’ai aimé ça ?
Parce que tu crois que ça ne m’a rien coûté ? Humainement j’entends. Tu
n’entends pas. Tu vas entendre. Je te prends en moi.
Elle sent
vibrer ses entrailles son gosier se dessécher ses intestins se resserrer son
diaphragme empêcher l’air de circuler jusqu’au plexus espérant une suffocation
salvatrice.
Elle avance
vers lui. Attractif et angoissant. Et bleu maya.
Tu la sens la blessure qui longe ma colonne vertébrale
qui s’étend de C1 à L5 - cervicale - lombaire et je reste digne, je ne
parlerai pas de mon coccyx. Tu le sens ?
Ses épaules
s’affaissent laissant glisser ses bras le long de son corps – attraction
terrestre jusqu’au bout des doigts – ses mains dans une impulsion se lèvent au
dessus de son crâne.
Tu la sens cette douleur intrinsèque qui t’empêche de
relever la tête, de soutenir un regard, de sourire à tes enfants ?
Elle
empoigne ses cheveux et les tire, entraînant sa tête en avant, obligeant
son buste à s’incliner, jusqu’à ce que ses jambes refusent cette soumission et
finissent par se mouvoir.
Dressée,
stimulée, projetée, elle marche jusqu’à lui.
Il est là, devant elle. Bleu maya. Translucide.
Tu crois qu’un flux migratoire n’est que mouvement de
foule, déplacement de masse dévorant chaque portion de kilomètre raflant la
mise – jackpot baby welcome au paradis ?
Tictictictictic que nenni j’ai fui. Lâchement. Le cœur
fendu. Deux fois. Une fois par la hache de la colère celle qui te fait partir
rejoindre tes sœurs au combat.
Une deuxième fois par la hache de la raison celle qui
préserve et sauve ton enfant.
J’ai fui. Le cœur fendu deux fois après avoir été
broyé. Un cœur broyé fendu deux fois. Mon cœur broyé après l’ouverture de ma
porte d’entrée et la découverte de la tête de ma cousine au fond d’un sac. J’ai
fui.
Ses épaules
vont d’arrière en avant, d’avant en arrière, l’une après l’autre.
Le
balancement atteint son bassin et elle bascule et elle bascule et elle bascule
et elle bascule et elle bascule et elle bascule de plus en plus vite de plus en
plus fort, jusqu’à ce que son front sente le baiser du voile, attractif,
angoissant, bleu maya et translucide.
Parce qu’on n’accouche pas au milieu des bombes parce
qu’on ne veut pas prendre une kalache et devenir assassin parce qu’on ne veut
pas finir par bouffer les rats parce qu’on ne veut pas faire de l’argent sur le dos des morts parce qu’on ne veut pas voir surgir
la bête qui sommeille en nous parce qu’on ne veut pas rêver qu’on est décédé
pour pallier à la souffrance de la réalité parce qu’on ne veut pas décéder.
Parce qu’on ne veut pas. J’ai fui.
Elle se
démasque en laissant ses vêtements
dégouliner sur le sol.
Elle les
repousse du pied. Abjects feuillages.
J’ai avancé lentement. Très lentement. Mes jambes bloquées
par celles des autres, entremêlées.
Saisie d’un
spasme, ses bras l’enlacent, ses mains se figent sur ses trapèzes et visage
baissé, elle relève les yeux et le fixe.
Relâchement.
Elle est sur lui.
Tu la sens la lourdeur à l’intérieur de ton tibia
cette pesanteur dans tous tes os rongés par la fatigue et la peur ? Tu la
sens la chaleur étouffante de tous ces corps
rassemblés, tous ces effluves mixés concentrés ?
Vomissement intérieur. J’ai tout gardé. Tu
ravales ?
Elle tourne
sur elle-même et le voile l’enveloppe d’une
longue
caresse. Il coule sur sa peau. Sa jambe droite
l’emprisonne.
J’ai avancé lentement vers lui. Il était là devant moi.
Tout est loin. La terre est loin, l’humanité est loin.
Son buste est
catapulté vers le sol, ses mains touchent le sol ses avant-bras touchent le
sol, sa hanche droite touche le sol son flanc droit touche le sol, elle est –
au – sol.
Les corps enchevêtrés ont roulé, se sont étendus,
recroquevillés, touchés, mêlés et ont avancé jusqu’au grillage.
Ce bouillonnement est venu couvrir ma chair de poule.
Sa jambe
gauche vient libérer sa jambe droite maintenant enserrée.
Tu le sens ce feu intérieur qui traverse ton sphincter
et vient se loger entre ton foie et ta rate, ce feu qui t’annonce que tu es arrivée
au point d’un possible non retour ?
Voile
attractif, angoissant, bleu maya, translucide,
transpercé.
Elle l’a
traversé.
Elle ne sera
plus jamais la même.
Poussée, projetée, évacuée, j’étais sur lui.
Mon genou gauche s’est enfoncé dans une alvéole, mes
bras se son tendus, mes mains se sont accrochés à lui, mon pied droit en appui
et l’ascension s’est amorcée. Interminable.
Tu la sens ? Adrénaline. J’ai
basculé. Adrénaline.
Je suis tombée, me suis relevée
et j’ai couru.
Tu la sens la force de mes cuisses ?
Tu le sens mon souffle ? Tu la sens mon
haleine ?
Tu la sens cette inquiétude perpétuelle ?
Le grillage a disparu.
Je l’ai traversé
Je suis transpercée
Je ne serais plus jamais la même.
Christelle Monnet
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